Comment traiter les inégalités économiques ?

Comment traiter les inégalités ?
 
« L’inégalité » est un thème qui occupe une grande place dans le débat des idées depuis la fin des années 1970. Cet article n’a pas pour vocation de retracer l’évolution complète des inégalités mais il est nécessaire de synthétiser de manière succincte ses évolutions récentes afin de contextualiser le sujet et de donner au lecteur des repères nécessaires pour poser un point de départ à notre réflexion. Alors que les Trente glorieuses furent une période de réduction des inégalités les années 1990 les voient s’accroître. Avant de continuer il conviendra de définir les inégalités qui seront traitées ici. Nous utiliserons l’approche des économistes qui distinguent trois types d’inégalité1 : les inégalités de revenus, de patrimoine et d’accès. Les inégalités de revenus sont calculées entre ménages après prélèvement de l’impôt, des transferts et des charges sur leur revenu primaire (salaire, revenus d’entrepreneurs, loyers reçus, intérêts et dividendes). Les inégalités de patrimoine : Le patrimoine est constitué de titre de propriété foncière, immobilière et mobilières, d’œuvres et de titres financiers. Les inégalités d’accès : Il s’agit de l’accès effectif d’un individu à la santé, au logement, l’éducation, aux marchés (marché du travail, de l’eau, de l’électricité…). Cet article présentera des pistes mais aussi quelques solutions. Il sera à la fois doctrinal et une invitation à la réflexion sur la pertinence de la réduction des inégalités.

 
Entre 1974 et 2021, une tendance à la baisse des inégalités qui commence à s’inverser à des multiples reprises2


 
La fin des trente Glorieuses et le ralentissement de la réduction des inégalités3

La hausse du niveau de vie générale permis par une croissance rapide du PIB combiné à un système redistributif efficient ont conduit à diminuer le niveau d’inégalité mesuré jusqu’à la fin des années 1990. Cependant, au tournant des années 1990 le paradigme économique évolue et le modèle des Trente Glorieuse s’essouffle depuis le début des années 1970. La libéralisation, le décloisonnement des économies et les différents chocs macro-économiques conduisent à une légère augmentation du niveau de pauvreté entre 1990 et 1997 notamment pour les chômeurs et des ménages de salariés malgré une hausse constante du taux de prélèvement obligatoire. (Le seuil de pauvreté est fixé par convention à la moitié du niveau de vie médian de l’ensemble des ménages dont la personne de référence n’est pas étudiante. Un ménage pauvre est un ménage dont le niveau de vie est inférieur à ce seuil)
 
L’avant crise de 2008 et ses conséquences sur l’inégalité
Si les indicateurs d’inégalités étaient relativement stables entre 1997 et 2005 les coupes budgétaires, les politiques d’austérité, la hausse du chômage intervenus après la crise de 2008 en Europe ont été des vecteurs de l’accroissement des niveaux d’inégalités4. On observe une baisse du niveau d’inégalité aux alentours des années 2010 mais le coefficient de Gini reste supérieur à son niveau de 2006.

 
 

Source : Banque mondiale
 

 
La crise du Covid et le conflit Ukrainien vont sûrement creuser le niveau d’inégalité et de pauvreté, mais il est encore tôt pour en appréhender toutes les conséquences.

 
Définition coefficient de Gini : L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une variable et sur une population donnée. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême). Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé. Il est égal à 0 dans une situation d'égalité parfaite où la variable prend une valeur identique sur l’ensemble de la population. À l'autre extrême, il est égal à 1 dans la situation la plus inégalitaire possible, où la variable vaut 0 sur toute la population à l’exception d’un seul individu. Les inégalités ainsi mesurées peuvent porter sur des variables de revenus, de salaires, de niveau de vie,etc.5


 

 
Les inégalités sont-elles une mauvaise chose ?

Il convient de s’interroger sur les conséquences d’un certain niveau d’inégalité sur l’économie en ce qui concerne la croissance, le paupérisme et la cohésion sociale. Vouloir réduire les inégalités est une question éminemment politique et cela peut être fait de bien des manières mais avant de chercher à le faire il faut établir le constat que toutes les inégalités ne sont pas nocives, mais qu'un certain niveau de celles-ci l'est pour la stabilité nationale.

 
Inégalité et croissance économique

Beaucoup d’économistes affirment qu’un plus haut niveau d’égalité est associé à une croissance plus forte par l’accès par le développement de l’éducation et de formations au sein de sociétés plus égalitaires. Comme nous l’avons vu l’inégalité d’accès constitue une des trois composantes étudiées en économie. Stiglitz, Bourguignon Birsdall défendent ce point de vue.

 
Ce n’est pas le seul angle d’attaque possible. En contradiction totale avec l’énoncé précédent l’inégalité serait une cause de la croissance économique. John Maynard Keynes pense que la croissance britannique est passée par l’utilisation morale de la richesse des agents issus des hautes tranches de revenus qui auraient investi en majorité leurs fortunes dans l’investissement et l’épargne et non dans la satisfaction d’envies passagères par la consommation. Il existe bien des inégalités justifiables aux yeux de Keynes : ce sont celles qui sont susceptibles de profiter au plus grand nombre, dans la mesure où elles stimulent l’accumulation du capital. Mais dès lors que l’inégalité des revenus et des patrimoines ne sert plus à augmenter la richesse sociale, mais ne fait qu’entretenir le désir d’argent, elle produit des effets pervers. Les inégalités “excessives” sont celles qui ne sont pas nécessaires à la poursuite de l’accumulation, ou du progrès technique (elles sont d’autant plus condamnables si elles entretiennent un “ jeu d’argent ” qui empêche le retour au plein emploi6).

 
D’autres aux contraires voient dans ce processus de réduction d’inégalité (s’il passe par l’impôt et la taxation) une menace face aux incitations à entreprendre et travailler et donc un frein à la croissance économique, c'est la fameuse courbe de Laffer. Cela peut s’illustrer par l'idée reaganienne qu’une réduction des impôts induirait forcément une hausse de l’investissement, de l’épargne et de l’ardeur au travail. C’est ce raisonnement qui est au fondement de la théorie du ruissellement qui empiriquement ne se vérifie pas, une réduction d'impôt mal dirigée peut avoir des effets bien différents et mener à une hausse de la capitalisation.7


 

 
A quoi cela nous avance-t-il réellement ?

Malgré une justification empiriquement erronée les partisans de la seconde approche ont le mérite de pressentir que toute inégalité n’est pas forcément nocive à la machine économique pour atteindre la croissance potentielle et est inévitable dans le stade de développement économique8. Ils présentent également que à la suite de cette phase de croissance conduit à terme à une diminution des inégalités. Même les économistes qui sont en faveur d’une réduction forte des inégalités font une distinction entre les inégalités « utiles » et les autres comme John Maynard Keynes le faisait déjà. C’est aussi le cas de Thomas Piketty. 9 Il convient donc de distinguer les « bonnes» et « mauvaises inégalités ». Et ici la discussion devient difficile car il n'est plus question de faits, mais de sensibilités politiques entre inégalités utiles et inutiles, inégalités justes et injustes ; et des diverses sensibilités découleront les remèdes et politiques à appliquer. Reprenons l’analyse de John Rawls.

 
John Rawls10 nous propose l’expérience de pensée suivante : Imaginons que nous devions tous nous réunir pour fixer le cadre de la société dans laquelle nous vivrions sans savoir la place que nous allons y occuper. Il parle de voile d’ignorance. Rawls aboutit à la conclusion que nous choisirions une société pas trop inégalitaire où les inégalités seraient justifiées pour autant qu’elles contribueraient à élever la condition sociale ou permettre au plus précaire de s’élever. Cela est un bon moyen de combiner la méritocratie et justice sociale. Dans cette optique, toutes les inégalités ne doivent pas être combattues mais la société doit combattre le paupérisme et permettre à chacun d’exploiter ses talents, peu importe son origine sociale, pour que la collectivité et lui-même en tire profit. Cette interprétation du critère rawlsien se rapproche également de l’analyse des économistes classiques.

 

 
Combiner méritocratie et justice sociale :


 
Nous allons étudier chaque type d’inégalité à la lumière du critère établi par John Rawls
Inégalité d’accès :

C’est sur ce point que le critère rawlsien de justice sociale semble le plus pertinent. En effet, le critère que pose Rawls mets l’accent sur la possibilité au plus précaire de s’élever. Nous allons donc analyser le système scolaire et l’environnement social des plus défavorisés afin d’en déduire des solutions pour se rapprocher de notre critère.
Renforcer le système d’examen nationaux au détriment de la sélection sur dossier :
D’après un rapport de L’OCDE 11 de 2018 la France est l’un des systèmes scolaires qui reproduit le plus les inégalités sociales. On observe également que ce sont les régions les plus pauvres où les gens sont le moins qualifié. Notamment en Seine-Saint-Denis, également caractérisé par un taux de natalité plus élevé supérieur 65% de la métropole en 2019.12

Les disparités territoriales ne font que renforcer ce phénomène par une offre d’éducation hétérogène et un renforcement du contrôle continu qui, in fine, ne défavorise que les plus défavorisés. Il faut donc renforcer la présence d’examens nationaux et les pondérer autant que le contrôle continu afin qu’un niveau d’étude témoigne réellement de compétences scolaires. Le but étant que la même formation reflète une même expertise, qu'importe le lieu de cette formation.
Les politiques d’accès à la culture et l’éducation se sont considérablement développées pour les jeunes et sont plutôt bonnes. Il est important de rappeler la quasi-gratuité du système scolaire français. Cependant, ce n’est pas car elle est accessible que tout le monde s’en saisit. Une grande partie de la recherche en sociologie met en exergue le rôle déterminant des activités extrascolaires et de l’environnement social ainsi que le rôle des relations interpersonnelles entretenue dans la réussite des étudiants. 13 Très jeune, certains enfants intériorisent l’impératif de réussite scolaire par l’importance que l’école occupe pour leur famille. Ici l’inégalité d’accès se combine à des caractéristiques sociologiques. Un travail d’information doit donc se combiner à une uniformisation, vers le haut, du niveau scolaire autant dans le secondaire que dans le supérieur des établissements d’enseignement.

 
En ce qui concerne l’accès au soin l’inégalité d’accès est flagrante. Par la présence de désert médicaux qui est quantifiable par un indicateur d’accessibilité au soin : l’APL (Accessibilité Potentielle localisée)14. D’après le site du gouvernement « L’APL est un indicateur local, disponible au niveau de chaque commune, qui tient compte de l’offre et de la demande issue des communes environnantes. Calculé à l’échelle communale, l’APL met en évidence des disparités d’offre de soins qu’un indicateur usuel de densité, calculé sur des mailles beaucoup plus larges (bassins de vie, départements…), aura tendance à masquer. L’APL tient également compte du niveau d’activité des professionnels en exercice ainsi que de la structure par âge de la population de chaque commune qui influence les besoins de soins ». Sans surprise, c’est au sein de la diagonale du vide que L’APL est le plus faible. Pour y remédier Force Solidaire propose de rompre avec la tradition du numérus clausus en médecine, pour un critère unique de compétence, et de majorer les primes d’installations dans les territoires de la ruralité.

 
En ce qui concerne le logement et l’immobilier, l’inégalité d’accès est criante en France. En France, en 2017, 62% des logements sont possédés privés sont détenus par 24% des ménages.15 On observe aussi une hausse des taux des crédits immobiliers en France16. Cette hausse est un phénomène de long terme et concerne autant les appartements de province, les appartements d’île de France ainsi que les maisons (IDF et province). Le coût d’accès au crédit immobilier touche donc tous les types de bien du marché de l’immobilier. Le phénomène de locations de courtes durées, par des plateformes comme Airbnb, a également affecté le marché français par un mécanisme simple : en réduisant l’offre total de logement pour les locaux, le loyer des biens encore disponible va mécaniquement augmenter pour une demande constante voire grandissante. De ces facteurs découle une grande différence d’accès au logement. Par un souci de lisibilité nous vous invitons à vous rendre sur la partie économique de notre manifeste qui développe ce point, et nos solutions, plus en profondeur.

 
Du point de vue de l’égalité d’accès la France est lacunaire, une société qui se voudrait réellement méritocratique doit travailler à résorber cette inégalité pour se garantir les meilleurs.

 
L’Inégalité de revenu :

 
Un point sur le système redistributif français et son efficience
Le modèle de l’état providence développé à la fin de la Seconde Guerre mondiale s’articule parfaitement avec la conception rawlsienne. Malheureusement, l’État Providence connaît de plus en plus de dysfonctionnements techniques par le basculement total de nos économies à la Fin des Trente Glorieuses17. L’analyse posée par Pierre Rosanvallon en 1981 est encore d’actualité et n’a fait que s’aggraver. La partie précédente appuie également ce propos.
Cependant, le système français est considéré à raison comme un des plus redistributifs et offre un certain filet de sécurité. Au sein de l’OCDE la France fait partie des pays avec le coefficient de Gini le plus faible et il en va de même pour le niveau de pauvreté. 18 Il reste tout de même important de rappeler que le précèdent quinquennat a accru le niveau des inégalités de revenu en supprimant l’ISF et en allégeant les impôts sur les tranches de revenus les plus élevés. De plus, au moment où cet article est rédigé le président de la République prévoit un durcissement drastique des conditions d’éligibilité du RSA. 19 Force Solidaire propose de son coté une réforme du RSA qui combine formation pour une réinsertion et un service de six heures par semaine dans le secteur public. Force Solidaire souhaite également revernir sur le barème obligatoire pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse apporté par les ordonnances Macron.  Nous vous invitons à consulter la partie économique de notre manifeste pour plus de détail sur nos mesures pour réduire l’inégalité de revenu.

 

 
Inégalité de patrimoine


 
La taxation du patrimoine représente également un enjeu indispensable tant il est relié à d’autres sujets comme l’évasion fiscale qui fera l’objet d’un prochain article. La taxation du patrimoine présente certains avantages. Par exemple, la taxation sur le patrimoine ne peut pas être considéré comme un impôt désincitatif, car on ne veut pas nécessairement modifier le montant de succession légué à des fins fiscales. Même si un individu le voulait, cette optimisation serait difficile à mettre en œuvre car la date du décès est un facteur imprévisible.
Pour les héritiers, la succession peut même jouer un rôle désincitatif. De plus, rien ne garantit que l’utilisation de ce patrimoine soit bénéfique à la société. En France, l’imposition fait face à trois défis majeurs : La concurrence fiscale, l’illisibilité croissante de l’imposition et la tendance à l’augmentation des patrimoines. 20

Il est cependant tout à fait juste de souhaiter léguer à ses enfants le fruit de son travail ou le patrimoine familial. Il faut donc distinguer les différentes situations. C'est pourquoi, Force Solidaire est favorable au système actuel de taxation progressif sur le capital même si pour fonctionner efficacement il nécessite une lutte active contre l’évasion fiscale et également de faire progresser la législation sur les nouveaux moyens d’opacifier son capital (notamment par les crypto-actifs et les possibilités grandissantes offertes par le progrès technologique).

 
Conclusion

Force Solidaire a trois principes fondateurs, parmi eux : la Méritocratie. La définition la plus simple de ce concept est la suivante : les meilleures places aux meilleurs. Et ce, peu importe la raison de cette qualité.21 Cependant il est capital pour garantir l'efficacité de ce système de permettre aux meilleurs d'émerger de toutes les strates de la société. Ainsi les inégalités d'accès doivent être réduites au maximum. De même, une forme de redistribution justifiée par la solidarité nationale est nécessaire pour éviter aux plus précaires sombrer dans le paupérisme, et ainsi leur donner la possibilité d'accéder aux plus hauts postes.
Les inégalités sont consubstantielles aux sociétés humaines. Se fixer comme cap une société sans inégalités est vain et contre-productif. Les inégalités ne sont donc en soi pas des problèmes. La pauvreté, le mauvais accès aux services, une mauvaise éducation, eux en sont, et sont d'autant moins acceptables en situation d'inégalité.

 
1Thomas Piketty, une brève histoire de l’égalité, 2021
2https://www.insee.fr/fr/statistiques/2491918
3http://piketty.pse.ens.fr/files/capitalisback/CountryData/France/Other/VariousPapers/VariousRefsHouseholdWealthFrance/Docs%20Insee/InegalitesEco.pdf
4https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-2-page-26.htm
5https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1551
6https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01779945/document
7Le mythe de la « théorie du ruisellement », Arnaud Parienty,2018
8 COURBE DE Kuznets
9Thomas Piketty, le Capital, au XXI ème siècle, Seuil 2013,p.708
10John Rawls, Théorie de la justice, 1971
11OECD(2018), Equity in Education : Breaking Down Barriers to Social Mobility, PISA, OECD Publishing, Paris
12https://statistiques-locales.insee.fr/#c=home
13Terrail (1990), Laurens (1992), Kellerhals (1992), Gissot , Héran (1994), Lahire (1995), Grisay (1993, 1997),
14https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/lindicateur-daccessibilite-potentielle-localisee-apl
15 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432517
16 Insee, ADSN-BIEN-Notaires du Grand Paris, Notaires de France - Perval.

17Pierre Rosanvallon, La crise de l’Etat-providence, 1981
18https://data.oecd.org/fr/inequality/taux-de-pauvrete.htm#indicator-chart
19https://www.publicsenat.fr/article/politique/rsa-retraites-les-grands-chantiers-sociaux-d-emmanuel-macron-205119
20 https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-1-page-204.htm
21https://youtu.be/2o5Ge2OOSiQ