La chasse, passion d’intérêt général
/ Pierig Servouze
Haro sur les chasseurs ! Ce sont désormais des proies médiatiques. Il est facile d’attirer l’attention émotionnelle du public sur la mort d’animaux. Le chasseur, immonde réactionnaire qui ose rester enraciné, pratique le loisir interdit, il faut l’abattre ! dit la petite musique. C’est une véritable haine qui se développe à l’égard des chasseurs, que l’on peut observer sur les réseaux sociaux. Cette haine, entretenue par certains journalistes et influenceurs, repose sur plusieurs mensonges et une certaine ignorance de la pratique et de son intérêt pour la collectivité. Cet article vise à rétablir quelques vérités, il est un complément de notre manifeste partie agriculture et partie écologie.
Une nécessité écologique
L’année 1969 signe la fin du droit d’affût pour les agriculteurs. Ce droit permettait aux agriculteurs de tirer librement sur le grand gibier afin de protéger leurs cultures. Cela a permis de préserver certaines espèces et de contrôler le nombre d’individus présents. Le plan de chasse a ainsi eu pour effet d’augmenter les effectifs de ces populations pour maintenir la biodiversité. Cette augmentation du nombre de gibier a eu pour conséquence d’augmenter les dégâts dans les cultures. Les chasseurs ont ainsi pour obligation de participer à la mise en place de clôtures autour des champs et doivent indemniser les agriculteurs pour tout dégât occasionné par les animaux sauvages.
Cependant, il faut sans cesse contrôler les populations cynégétiques. En effet, leur régulation est nécessaire afin de maintenir l’équilibre de la biodiversité. Les grands gibiers principalement occasionnent de nombreux dégâts aux forêts :
L’abroutissement : les bêtes mangent bourgeons, feuilles et jeunes pousses. Les résineux sont consommés trop tôt et les feuilles pendant la phase de végétation. Pour certaines espèces, l’abroutissement répété empêche l’arbre de se développer ou réduit de manière significative sa croissance. Cet abroutissement peut être positif, d’où la nécessité de garder un certain effectif de grands gibiers, mais uniquement s’il n’est pas trop intense. Dans le cas contraire, cela empêche la régénération de la forêt et les espèces les plus consommées finissent par disparaître.
Le frottis : il est dû aux mâles qui frottent leurs bois ou cornes sur les tiges des arbres. Cela enlève l’écorce voire casse la tige. Les résineux odorants sont les plus touchés ainsi que les feuillus à bois tendre. Le frottis n’est pas le même si l’animal frotte pour se débarrasser de la peau qui recouvre ses bois ou s’il est en période de rut et donc cherche à se défouler. Dans la plupart des cas, la tige finit par sécher ou casser. Les jeunes arbres développent de nouvelles branches mais son avenir est compromis.
L’écorçage : certaines bêtes se nourrissent de l’écorce des arbres. Si cette écorce se détache aisément le problème se pose moins que si l’animal gratte pour la retirer. Cet écorçage réduit la résistance d’un jeune arbre qui peut facilement casser par la suite.
D’autres dégâts encore, par exemple, les sangliers déterrent souvent de jeunes pousses ou mangent des racines d’arbres encore trop fragiles.
De plus, le développement exponentiel des populations de sangliers, qui se trouverait aux alentours de deux millions de têtes aujourd’hui, provoque de très gros problèmes sur les cultures et ils arrivent dans les villes de plus en plus régulièrement. Il faut donc réussir à endiguer sa prolifération. Sa population a déjà été multipliée par six en trente ans. Le rapport, disponible en sources (11), explique les différents problèmes que le sanglier occasionne.
À cela on répond souvent que les chasseurs nourrissent eux-mêmes les sangliers pour pouvoir les tuer ensuite. L’agrainage est effectivement pratiqué mais ce n’est absolument pas dans ce but, bien qu’il puisse y avoir des dérives dans son utilisation, elles restent à la marge. L’agrainage permet de diminuer les dégâts aux cultures en détournant l’attention des sangliers. Éric Baubet, spécialiste français du sanglier, nous explique dans un de ses travaux que “l’agrainage de dissuasion ne peut pas être le responsable d’un point de vue biologique du problème démographique des populations de sangliers.” Selon lui, l’arrêt de cet agrainage n’entraînera aucune réduction significative de la reproduction ni même d’augmentation de la mortalité car les sangliers iront se nourrir dans les cultures directement.
Plusieurs études scientifiques montrent qu’une chasse raisonnée permet de ne pas affecter fortement les espèces chassées et peut même être bénéfique pour les autres espèces. La chasse est un moyen d’action au service de l’environnement : les chasseurs rendent service à ceux qui sont intéressés par la conservation de la vie sauvage. Il est possible de développer des systèmes de gestion qui maximisent spécifiquement à la fois la durabilité de la chasse et la valeur de conservation des zones gérées.
De plus, il y a actuellement des problèmes avec certaines espèces qui menacent de disparaître au moins localement. Les chasseurs ont donc une mission de repeuplement de ces espèces. Cela passe par des lâchers et un aménagement des territoires pour favoriser le développement de ces espèces. On rétorquera que les chasseurs font cela pour pouvoir chasser ces gibiers ensuite. Bien entendu. Or, ils sont plus ou moins les seuls à s’intéresser à ce gibier. Les seuls donc prêts à s’investir pour aider à son développement. Il est donc totalement contre l’intérêt des chasseurs d’éradiquer complètement une espèce sur son territoire de chasse. Proches de la nature, conscients des enjeux et connaissant très bien l’espèce en question, les chasseurs sont les plus à même de favoriser le repeuplement.
Une nécessité économique
Loin du cliché initial, le travail des chasseurs ne se cantonne pas à l’abattage de gibier. En effet, lors d’une étude commandée par la Fédération Nationale des Chasseurs en 2015, on a pu constater que plus de 20% du temps passé par les chasseurs à leur activité était consacré à la prévention, la réparation ou la lutte contre les dégâts liés aux bêtes. Ce service rendu à la société correspond à un équivalent de 12 600 emplois à temps partiel et permet donc d’économiser environ 160M€ par an.
De plus, 52% du temps de bénévolat des chasseurs est concerné par l’entretien et l’aménagement du milieu, la participation à des actions de nature sanitaire, des actions de gestions des espèces et du piégeage et de la destruction d’espèces exotiques nuisibles et envahissantes. A cela s’ajoute l’entretien des chemins et la collecte des déchets. Un équivalent de plus de 32 000 emplois à temps plein et donc une nouvelle économie de plus de 400M€.
Les fédérations départementales investissent dans les services environnementaux (action de préservation des milieux, police de l’environnement) environ 17M€ par an et acquièrent des terrains afin de préserver des zones fragiles et réservoirs de biodiversité. Cela représente environ 400 000€ de dépenses annuelles en moyenne sur la période 2010-2015. L’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage contribue elle aussi à hauteur de 83M€ au titre des services environnementaux.
Le retrait du droit d’affût des agriculteurs dans le but de préserver les espèces cynégétiques puis la mise en place du plan de chasse a entraîné une augmentation importante des populations et par voie de conséquence des dégâts de gibier dans les cultures. Pour remédier à ce problème, les chasseurs sont tenus d’indemniser une part des dégâts causés par le gibier aux cultures. L’indemnité fixée par l’expert couvre généralement 80% à 95% des dégâts. Le montant de l’indemnité est fonction de la surface touchée et de la valeur de la récolte perdue. Cette valeur est donc variable en fonction du rendement potentiel et du prix des produits agricoles. A titre d’information, les dégâts corrélés à un manque de chasseurs représentent 11% des dégâts indemnisés par les fédérations départementales de chasseurs
La chasse en elle-même permet d’éviter plus de 8M€ par an de dégâts. Par ailleurs, en moyenne sur la période 2007-2017, les chasseurs paient 50M€ par an aux agriculteurs pour indemniser les dégâts et financer la protection des cultures.
De plus, les différentes activités des chasseurs permettent de conférer une plus-value à notre environnement. Cela se chiffre à 381M€ au global dont 239M en montagne, 81 en zones humides et 61 en forêt. Ces chiffres sont estimés à l’aide du consentement à payer par les chasseurs pour leur impact sur chaque écosystème. L’impact individuel moyen est multiplié par le nombre de promeneurs dans chaque écosystème afin d’arriver à une estimation nationale. Sont déduits les coûts des accidents de chasse impliquant des non-chasseurs. De plus, les actions d’aménagement des chemins des chasseurs et d’amélioration de l’observation de la faune, perçues par les non-chasseurs, accroissent la valeur de la promenade ou de la sortie. Au contraire, les renoncements ou changements de lieu de promenade en raison d’une chasse en cours réduisent la valeur de la promenade.
Ce n’est pas forcément un impact auquel on pense directement mais une grande population d’ongulés sauvages engendre un grand nombre de collisions entre ceux-ci et des véhicules, c’est un enjeu à la fois économique et de sécurité. En 2005, Vincent Vignon et Hélène Barbarreau ont tenté de chiffrer leur coût. Leur étude s’est appuyée sur des bases de données datant des années 1984-1985, 1990-1999 et 2003-2004 pour certaines fédérations de chasse. Des informations ont également été sollicitées auprès des grands opérateurs autoroutiers, avec transmission d’éléments pour 65% du linéaire d’autoroutes. Ces chiffres sont donc relativement vieux et sont ainsi à prendre en compte comme une fourchette très basse pour aujourd’hui, la population notamment de sangliers n’ayant cessé de croître. Le coût des collisions a été obtenu de part le nombre de collisions par espèce, la probabilité de gravité de l’accident suivant l’espèce et le coût des dégâts (matériels, gravité des blessures si présentes et mortalité) mis en relation avec les chiffres du rapport Boiteux & Baumstark (2001) ou de Matheu (2003). Au final, cette étude estime ce coût entre 115M€ et 180M€.
Les contributions à des recherches scientifiques des chasseurs et fédérations départementales mobilisent 642 équivalent temps plein par an. Avec les études financées par les FDC et l’ONCFS, cela représente une contribution de 25M€ dont le coût est évité à la communauté des chercheurs et donc à la société.
Ce que l’on nomme services anthropiques correspond à l’ensemble des avantages que les différentes composantes de la société peuvent retirer de l’existence d’organisations et d’actions de chasse. Contrairement aux autres, les services anthropiques ne reposent pas directement sur les fonctions des écosystèmes au sein desquels la chasse agit. Ces services sont directement rendus par les acteurs de la chasse vers les autres membres de la société, et ne sont donc pas au cœur de l’action de chasse ou de l’entretien du territoire. Ils peuvent correspondre à des initiatives et des actions supplémentaires dirigées vers le reste de la société, ou bien des propriétés sociales, économiques liées à l’organisation de la chasse, originales et présentant une valeur ou un intérêt pour l’ensemble de la société. Comme le montre le graphique ci-après, la chasse crée 1,2Md€ au titre de ces services anthropiques.
De plus, la chasse permet d’animer la vie locale grâce à des journées de sensibilisation du grand public ou d’intervention dans les écoles ainsi que l’organisation d’évènements festifs, un effort de 2,4M€ au final.
En 2014, les chasseurs ont consenti à un effort de 2,9Mds€ pour l’usage de la chasse. Cette valeur doit être multipliée entre deux et six fois pour refléter la valeur globale, tangible et immatérielle de la chasse ainsi que sa contribution au bien-être ou à la vie des chasseurs.
Le graphique ci-après résume l’apport de la chasse pour les autres usagers. Au total, on compte alors pas loin de 570M€ en 2014.
Pour revenir au premier point de cet article, avec la fin du droit d’affût, les chasseurs ont dû indemniser les agriculteurs des dégâts provoqués par le gibier. Cela représente plus de 75M€ sur la seule saison 2018-2019 pour les dégâts occasionnés par le grand gibier. On constate aussi que le prélèvement de sangliers suit plus ou moins la courbe du montant d’indemnisation, c’est-à-dire que le nombre de sangliers est de plus en plus problématique et que la chasse n’arrive pas encore à endiguer le phénomène lié à sa démographie importante.
Réponse à quelques arguments habituels
Quand on parle de la nécessité de la chasse, très régulièrement est opposé l'exemple du canton de Genève en Suisse, lequel en a interdit la pratique. Pour commencer il faut pouvoir comparer ce qui est comparable. Le canton de Genève a une superficie de 282,5km². Comme en témoigne l'image ci-après, c'est un canton très urbanisé : 106km² de surface agricole et 34km² de surface forestière : un total de 140km² où la chasse pourrait être pratiquée.
La France métropolitaine quant à elle a une superficie de 672 051km² pour un territoire globalement très rural : les superficies forestières et agricoles cumulées sont de 446 409km².
Pour bien signifier l'écart d'ordre de grandeur, constatons la carte suivante, indiquant plus ou moins la taille du canton en question.
Les problématiques ne sont donc pas du tout les mêmes et peuvent difficilement être comparées mais continuons en extrapolant le modèle genevois à la France métropolitaine.
Le coût annuel moyen dans le canton de Genève s'élève à 880 000 euros. Proportionnellement par rapport aux superficies, la facture en France serait de 2,81Mds €. De plus, nous ne pouvons pas nous arrêter là. Les chiffres régulièrement cités sur le sujet annoncent un coût annuel de 98€/ha de surface agricole et de 331€/ha de surface forestière. Ainsi, la facture grimperait à 8,31Mds€ !
D'autres calculs peuvent être repris avec différents résultats. Tout détailler n'est pas forcément pertinent ici. Je continuerai seulement en transposant les coûts salariaux. Le canton de Genève emploierait 15 gardes professionnels donc 0,107km² de surfaces agricoles et boisées par garde. En gardant la même proportion, il faudrait employer en France 47 830 gardes. À ce jour, le salaire minimal dans la fonction publique étant de 1649,48€ brut, cela représenterait un coût d'environ 80M€ par mois au total donc environ 1Md€ par an uniquement afin d'assurer un salaire minimal à ces gardes. La facture est donc assez lourde, en tenant simplement compte de ces paramètres, cette estimation étant bien en-dessous de l'estimation minimale possible. Cela représente pourtant un quart du budget du ministère de la culture pour 2022.
De plus, nous avons vu précédemment que le bénévolat des chasseurs confère déjà une plus-value importante à notre environnement, pour la nature et pour les autres citoyens. Arrêter la chasse pour confier ce travail à des professionnels décuplerait les coûts et serait totalement inintéressant économiquement.
Les opposants à la chasse parlent régulièrement de chasseurs qui seraient complètement éméchés, prêts à tirer sur n’importe qui et étant très dangereux pour tout un chacun, en essentialisant tous les chasseurs à ce cliché. Petit rappel des faits.
Chaque accident est en effet un accident de trop. Cependant, au regard des chiffres, on ne peut pas nier les efforts mis en place par la fédération ainsi que les chasseurs pour limiter les risques au maximum. On pourrait objecter qu’en vingt ans, le nombre de chasseurs a été divisé par deux environ néanmoins le nombre de balles tirées a été, quant a lui, multiplié par quatre ou cinq pour atteindre 7 à 9M de tirs par an comme le rappelle François David, responsable du Réseau Sécurité à la chasse à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS, aujourd’hui OFB). A savoir que, dans le total des accidents, la cause est un non-respect de la règle de l’angle de 30° pour 60% d’entre eux. Pour réduire le nombre d’accidents, plus de rigueur sur ce point de la part des chasseurs pourrait beaucoup jouer. De plus, chaque saison la grande majorité des victimes d’accidents de chasse sont les chasseurs eux-mêmes. La peur des promeneurs et cyclistes est donc disproportionnée même si le risque d’accident est non nul. Cette peur est créée et alimentée par les associations anti-chasse ainsi que les médias, toujours prêts à faire un gros titre sur un incident de chasse ou un accident et en profiter pour en parler pendant des semaines, faisant croire ainsi que la chose est récurrente.
Conclusion
Pour conclure ce papier, la fin de la chasse signerait une augmentation drastique du coût de la gestion de l’environnement pour la société. De plus, cela priverait de nombreux gens de leur passion qui est loin de l’image du sanguinaire :
Comme nous l’avons vu, ce n’est pas économiquement viable de le confier uniquement à des professionnels. Ici nous avons des gens qui paient pour pouvoir rendre ce service, cela ne fait donc aucun sens de signer la fin de cette pratique au simple regard de cette justification.
On oppose souvent que la chasse représenterait un danger pour les autres. Il est impossible de passer à côté de la diminution drastique du nombre d’accidents, y compris mortel, ces dernières années, d’autant plus qu’il faut mettre cela en rapport avec une augmentation du nombre de coups de feu tirés.
La chasse n’est pas parfaite. Elle évolue et sa pratique continuera à évoluer. On ne peut pas nier les efforts de la fédération et des chasseurs pour améliorer les choses. Nous ne pouvons pas non plus leur reprocher de maintenir le statu quo et nous devons saluer leurs efforts. La chasse évoluera et cela sera bénéfique pour tout le monde, laissons les chasseurs, véritables garants d’une mission d’intérêt général, s’en occuper.
Pour finir, j’invite tout un chacun à lire l’étude BIPE2 sur l’impact économique et social de la filière chasse présente en sources de cet article (6) ainsi que le rapport du Sénat sur le sujet : http://www.senat.fr/rap/r21-882/r21-882_mono.html#toc24.